En général, on relie quelqu'un qui pleure beaucoup au fait qu'il ou elle soit très sensible.
Pourquoi ? Parce qu'ils ressentent des évènements plus profondément que quiconque.
Les larmes "attestent" de cette profondeur, qu'on ne retrouve pas forcément chez tout le monde.
Il existe différents types de sensibilité, dans différents domaines.
Nous ne sommes pas touchés par les mêmes choses, tout le monde a ses propres préoccupations et centres d'intérêt.
Et certaines sensibilités n'ont rien à voir avec les larmes.
J'ai une certaine admiration pour ceux qui parviennent à contrôler cette sensibilité, comme les médecins par exemple. S'ils devaient prendre à cœur les cas de tous leurs patients, ils ne s'en sortiraient jamais.
D'une part, parce que leur attachement serait plus fort, ils auraient encore plus peur d'un échec et de ce fait, la pression serait perpétuelle, ils ne pourraient pas avoir une concentration optimale sur ce qu'ils ont à faire.
Il y a une différence entre opérer un total inconnu et quelqu'un qui serait devenu un ami.
Chapeau bas à tous les médecins, chirurgiens, et tous ceux qui font partie de ces gens qui soignent et "réparent" leurs semblables. J'entends ceux qui le font par vocation, et pas pour le fric, exclusivement. Une pensée particulière à ceux qui n'hésitent pas à aller dans des pays difficiles comme en Palestine, en Afrique, en Asie, etc...
Je serais, pour ma part, incapable de le faire.
Car dans certains cas, la sensibilité prend un chemin particulier, qui frôle par moment avec une véritable malédiction.
Le professeur se tient convulsivement les mains, son stress se sent à travers toute sa physionomie, sa démarche est raide et hasardeuse, ses gestes sont maladroits. Voilà qu'elle fait tomber sa liasse de papiers et se confond en excuses, marmonnage incompréhensif. Ses étranges lunettes rouges renforcent son air hébété, réduisant la taille de ses yeux.
Elle est incapable de puiser en elle la moindre trace d'autorité, tout simplement parce qu'elle-même se persuade qu'elle ne trouvera rien.
Inefficace, ce subterfuge d'énervement, cette manière de bousculer une chaise et enrager quelques minutes, avant que le brouaha ne reprenne comme s'il ne s'était rien passé. Elle se parle à elle-même, se dirige vers le tableau, se retourne vers les élèves d'un air furieux, fait volte-face à nouveau. Puis elle efface le tableau d'un air rageur, laissant encore des traces de craie visibles, libérant seulement assez d'espace pour continuer sa correction que personne ne suit.
Quelqu'un demande la permission de sortir, accordée de suite, fuyant la salle étouffante et son atmosphère malsaine. Faisant mine d'aller aux toilettes avant de s'appuyer contre un mur, à l'abri des regards. Cherchant une fuite dans la vision de la mer, au loin.
Une rue animée.
Un clochard avance piteusement, l'air las. Ses vêtements sont vieux, rapiécés, tout comme ses chaussures, de vieilles godasses trouées. Et le voilà qui ricane d'un air dément, se moquant d'un passant, le faisant accélérer. Il y a comme une stratégie d'évitement commune à tous les badauds qui se trouvent à proximité de lui. Ils se persuadent qu'il n'existe pas, en espérant qu'il fera de même les concernant, évitant ainsi d'attirer l'attention sur leur personne, si respectable. Lui n'a rien à perdre, car il n'a plus rien, justement. Il se déniche une place à l'ombre, et pose une boîte de conserve sur le trottoir, espérant culpabiliser l'un, attendrir l'autre, faire pitié au commerçant d'en face. Attendre quelques pièces qui lui permettront d'acheter de l'alcool dans une boutique, de tout boire et de sombrer dans un simulacre d'oubli.
Quelqu'un a le coeur serré, s'arrête devant le pauvre hère et lui donne quelques pièces, le faisant promettre d'acheter de la nourriture et pas de l'alcool. Quelqu'un repart, la conscience toujours tourmentée, incapable de faire plus pour aider et révoltée contre cette impuissance.
Un amphithéâtre.
Des grappes d'éléves qui se concentrent, malgré le nombre important de sièges libres. Les sièges des places au premier rang sont durs à abaisser, de par leur faible fréquentation. Au fond, les tables sont marquées de tags, gribouillages en tout genre, car hors de vue du professeur. Les places sont usées. L'horloge, au coin supérieur gauche du mur en face des étudiants, est déja déréglée, après quelques semaines de cours et clignote tristement, alternant une heure inexacte et une heure où un chiffre manque.
L'intervenante arrive d'un air déprimé et ferme les portes, coupant brusquement les sons qui filtraient du hall. Après une brève bataille contre le projecteur et son ordinateur portable, elle commence son cours, enchaînant des phrases sans réel lien entre elles, parlant d'une conclusion qui n'arrive jamais, usant sans fin de "donc" et autres expressions parasites. Passant d'un marmonnage à son intention avant de hausser la voix sans crier gare.
Devant, les étudiants les plus sérieux ont les yeux rivés sur elle, avalant chacune de ses phrases, prenant des notes et faisant fi des nombreuses imperfections.
Derrière, des touristes ricanent, bavardent, envoient des sms. L'intonation de leur voix est tout aussi exécrable que celle du professeur, des voix de crécelles. Leur attitude est minable.
Au milieu, quelqu'un qui s'est arrangé pour n'avoir personne ni à droite, ni à gauche, regarde le professeur, prend des notes sans conviction, de temps en temps, et n'apprend pas, son attention parasitée par tout ce qui ne va pas, tout ce qui pourrait être tellement mieux.
Pénalisée par un environnement qu'elle saisit dans une ampleur énormissime, qui lui pèse alors tellement qu'elle est incapable d'en faire abstraction.
Une télévision.
Un présentateur parle d'un ton égal de la dernière rencontre sportive avant d'enchaîner sur quelques massacres actuels au Moyen-Orient, ou en Afrique et passer à autre chose. Quelqu'un va sur son ordinateur, recherche, trouve. Tends les bras à la folie et inonde ses épaules de larmes.
Une chambre bleue.
Simple, ordonnée dans son désordre, fouillis de feuilles innombrables, noircies d'une écriture changeante. Perché sur un fauteuil noir, les jambes croisées ou repliées, quelqu'un fait couler fiévreusement des larmes d'encre sur une nouvelle feuille. Puis s'arrête, se relit, ouvre un tiroir et y laisse tomber l'ébauche de manuscrit, exutoire d'un jour, d'une nuit.
Quelqu'un laisse ses yeux se perdre vers l'obscurité, les ramène vers la lumière avant de les fermer.
Maelström vivant de pensées, de sentiments, quelqu'un se détruit petit à petit.
Malédiction.
Car la sensibilité, c'est mettre sa main dans la glace, et de ressentir le froid dans tout son être. C'est prendre un fil de son coeur et le connecter à tout ce que l'on fait, et de ce fait tout ressentir dans les moindres détails.
Heureux ceux qui savent débrancher ces fils et avancer l'esprit léger, sans tourments constants, permanents.
Bénédiction.
Sentir les choses, les toucher et imaginer, deviner leur histoire...
Aimer plus profondément, et de cette manière souffrir plus,
mais sentir la joie et le bonheur avec une amplitude presque magique.
mais sentir la joie et le bonheur avec une amplitude presque magique.
Malheureux celui qui passe près d'un arbre, ignore sa beauté, son âge, l'air qu'il lui offre.
Malheureux ceux qui sont incapable d'offrir des phrases lourdes de sens, qui réfléchissent uniquement avec leur tête sans prendre en compte leur cœur, et le laissent dépérir.
Malheureux ceux qui sont incapable d'offrir des phrases lourdes de sens, qui réfléchissent uniquement avec leur tête sans prendre en compte leur cœur, et le laissent dépérir.
Ombre & Lumière, encore et toujours...
Car tout le reste n'est que Poussière...
C'est magnifique. Je me retrouve tellement dans ce que tu décris. J'en serais presque effrayée.
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